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"ENAN BURGOS, ROMAN" 

 

       Poète, musicien, auteur dramatique, performeur, chanteur, acteur, Enán Burgos est également un peintre que j’ai d’emblée aimé tel un personnage de roman picaresque devenu le bateleur de son propre roman où les résonances tragiques se transforment toujours en leviers énergétiques.

       Sur la toile ou sur le papier, Enán Burgos nous donne à voir et à lire une histoire, un roman qui s’ouvre sur une échevelée danse des corps qui s’élèvent en toute liberté (selon la belle impulsion rêvée jadis en peinture par Chagall amoureux) et éliment la pesanteur ambiante.

       Enán Burgos enclenche donc un bal qu’il conduit de façon magistrale. J’ai vu des villes entières qui dansaient sur des places au Mexique et au Pérou, mais je n’ai pu pousser jusqu’à la Colombie où Enán est né et où une partie de son roman frémit sans nul doute. Quelle souplesse féline dans les corps qui s’enchevêtrent, se pénètrent, s’infinisent. La palette du peintre est gaie. Ses couleurs se fraient un chemin rapide –du rose délicat au rouge sang et dans les variations d’un vert qui tout reverdit. Le dessin, lui, insiste sur la réalité rugueuse et sur la complexité du désir. Alors, les corps deviennent insensiblement des pieuvres qui se passent de preuves, des parois intestinales qui clament leur désarroi, des cercles qui voudraient stopper la dérive de corps soudain maltraités, enfermés dans un sas assassin. Le combat est à l’œuvre quand la tendresse et l’érotisme ont viré à la crainte du cauchemar. Mais il y a toujours une voix qui crie et repousse l’enfermement programmé. trait incisif de l’artiste y veille.

        Enán Burgos nous offre, pour clore son exposition, un dessin en noir et blanc qui dévoile le secret travail de deux lutteurs de l’ombre et de l’aube. C’est un couple qui s’effleure, qui croit au salut, au bonheur. Il s’entoure de quelques objets complices comme une cigarette, un bocal un peu magique, un sceptre en forme de banane.

        La chevauchée a pris fin. Les portes se sont ouvertes. Les dangers ont été neutralisés dans ce superbe roman en images. Il ne s’agit nullement ici des images instantanées chères à la bande dessinée ; ce sont plutôt des images oniriques qui condensent toutes les potentialités du désir, ses variations, ses retournements. La fulgurance exprime une angoisse qui vise et vire à la re-vie, à la sur-vie, à la vraie vie, dense, intense, intensément vitaliste.

        Ce roman, il est nôtre désormais, gagné sur les affres de notre solitude et en hommage à la sollicitude de la vie, loin du vide.

 

 DANIEL LEUWERS

"COURBURE"

"ENTRELACEMENT"

Images soumises aux droits d'auteur (ADAGP)

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